Le temps d’arriver

Alors comment ça va ces premières semaines en Angola ? 

Ça va… Ce n’est pas évident d’être nouveau, tu voudrais passer à l’étape suivante plus rapidement mais ce n’est pas possible ! Tu sais bien qu’il faut le temps de créer tes repères, reprendre confiance, ré-inventer ton quotidien et que personne ne peut faire tout ça à ta place. Mais c’est pas parce que tu le sais que c’est plus facile.

Ça va… comme quand on arrive dans un nouveau pays. Imagine que pendant quelques temps le simple fait de sortir de la maison est une aventure à part entière… je peux y aller à pied ? je m’habille comment ? je paie comment (mince je n’ai déjà plus de cash) ? je peux emmener la petite dernière avec moi ? j’ai le temps d’y aller avant d’aller chercher le grand à l’école ? et quand tu passes de ton logement temporaire au suivant (temporaire aussi)… tu changes de quartier et donc tu recommences !

Ça va… comme quand tu ne sais pas encore où tu vas t’installer, tu n’as pas tes affaires et que tu as besoin de faire un nid ! Tu fais ce que tu peux, tu achètes un nappe colorée, un coussin et un petit panier pour que ça ait l’air d’être chez toi.

Ça va… comme quand tout est à mettre en place. Tu n’as pas de compte en banque sans numéro fiscal, tu n’as pas de numéro fiscal sans visa. Et le visa, on ne sait pas quand on l’aura. Patience.

En attendant tu as du cash, pas mal puisque tu as besoin de tout : d’un aspirateur, de casseroles, de lessive… tu prends un sac à main en bandoulière et tu fais des petites liasses de billets dans des trousses séparées pour brouiller les pistes des voleurs. Il n’y a finalement que toi que tu brouilles et fatalement tu te retrouves à la caisse du supermarché, avec ton charriot qui déborde et pas assez de cash…

Tu penses avoir ton plan B. Tant pis pour les taux de change désavantageux de la banque : tu sors ta Visa de France. Mais tu ne le sais pas encore : elle a été bloquée par la banque (trop louche ce nouveau pays). Tu leur as écrit pourtant : « j’habite à présent en Angola ». Et ils ont bien reçu l’information puisque ton conseillé t’a même répondu : « j’espère que vous pourrez profiter de la Namibie voisine »… mais quelque part dans un fichier, un code pays n’a pas été mis à jour et STOP la carte bleue.

Tu laisses ton caddie (et l’heure de ta vie que tu viens de passer à le remplir avec), tu t’excuses et tu manques vraiment de vocabulaire en portugais pour expliquer ta situation, tu cours à l’école car tu es déjà en retard.

Ça va… Comme quand tu vis dans tes valises (que tu as faites en juin dernier) depuis 6 mois, tu voudrais faire ton sapin de Noël mais ton déménageur ne voit toujours rien venir.

Ça va… Comme quand tu prends ton premier rendez-vous au téléphone en portugais (15 minutes de préparation – 30 secondes de téléphone) et que quand tu arrives au rendez-vous, tu comprends que NON tu n’es pas sur le planning de ce jour là. Certes tu es à l’heure à l’école, mais tu as toujours tes poils sur les jambes !

Ça va… comme quand tu te dis que tu as quand même passé un sacré nombre d’années dans des pays où il y a des gardiens armés devant les maisons et les magasins… Tu ne t’en rends même plus compte ! Ce serait bien que ça ne devienne pas quelque chose de normal pour toi…

Ça va… Comme quand tu as dit au chauffeur d’attendre là… et que quand tu sors, il n’y a personne. Ou quand tu lui dis que tu vas à l’Ecole Française et que tu te retrouves à l’Alliance Française… ou encore l’inverse le lendemain.

Ça va… Comme quand pour repérer ta grosse voiture noire parmi les grosses voitures noires tu as fait l’effort d’apprendre le début de ta plaque d’immatriculation : LD… tu comprends plus tard que LD signifie Luanda ; et que retenir ces lettres équivaut à retenir 75 à Paris il y a quelques années.

Ça va… Comme quand tes enfants te disent qu’ils veulent « dé-déménager », parce que c’est dur pour eux aussi, et alors là, évidemment, c’est encore plus dur pour toi.

Ça va… Comme quand tu te réveilles la nuit et que tu essaies de faire taire la petite voix qui rengaine qu’elle veut dé-déménager aussi. Il faudrait qu’elle se taise et en tout cas qu’elle arrête de parler portugais car tu as besoin de dormir.

Ça va… Comme quand suite à une accumulation d’événements et bien malgré toi tu te retrouves à faire la queue à un distributeur de billets dans un quartier populaire… les gens attendent plus de 20 minutes en plein soleil pour retirer 1000 Kwenzas (3 euros). Tu vérifies que ton chauffeur a un oeil dans ta direction et que la grosse voiture noire n’est pas loin.Tu te dis que tu ne prendras que le strict nécéssaire (c’est déjà 20 fois plus) et partira rapidement. Tu te fais prendre ta place par une grosse dame de la queue d’à côté et quand tu le lui fais remarquer (le plus simplement possible), elle t’explique que c’est la règle de son pays… ça grouille autour de vous. Ton regard lui dit ce que tu en penses… mais tes lèvres restent collées par la peur. Tu n’es plus à 5 minutes près, tu veux juste partir de cet endroit plein de poussière. Il fait très chaud, il y a du monde et du bruit. Quand arrive ton tour, tu tapes le code de ta carte… et tu comprends au 3ème essais que la touche 5 de ce distributeur ne fonctionne pas !

Bien sûr, tu es en retard pour l’école.

Rien n’est grave, tu le sais bien. Le début c’est toujours difficile. Tu as déjà fait de belles rencontres et tu sais que ce bout de vie qui commence sera bien.

Laisse toi le temps !

Coussins Miki Teci

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